DE LA COUTURE AU NUCLEAIRE : PARCOURS D’UNE FEMME QUI A OSE L’INDUSTRIE
Adeline Fais a longtemps travaillé dans l’univers feutré de la haute couture. Mais il y a quelques années, elle a fait un choix audacieux : quitter les podiums pour intégrer le secteur exigeant de l’industrie navale de défense. Aujourd’hui technicienne en industrialisation chez Naval Group à Nantes-Indret, elle incarne ces parcours inspirants de reconversion réussie, où la technique rime avec engagement personnel.
Ce témoignage met en lumière le parcours d’une femme qui a su transformer ses compétences, faire tomber les barrières entre des mondes a priori éloignés, et s’imposer dans un milieu encore largement masculin. Entre passion, persévérance et quête d’équilibre personnel, Adeline partage ici son expérience, avec humilité et lucidité. Une illustration concrète de la diversité des talents dans l’industrie, et un message d’encouragement pour toutes celles – et ceux – qui hésitent encore à franchir le pas.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ? Adeline FAIS : Passionnée par la couture dès le collège, j’ai fait un bac STI génie mécanique, option matériaux souples, puis un BTS de couture. J’ai travaillé pendant quinze ans dans la couture, dont treize ans chez Yves Saint Laurent en bureau d’études. J’étais spécialisée en modélisme et industrialisation. Il y a quelques années, j’ai décidé de me reconvertir pour être plus proche de ma famille. J’ai repris mes études en alternance au CFA de la Joliverie, où j’ai obtenu un BTS Conception de Produit Industriel. Aujourd’hui, je travaille chez Naval Group en tant que technicienne en industrialisation sur les composants nucléaires, en CDI depuis quatre ans.
Deux univers très différents : la couture et l’industrie. Pourtant, vous y voyez des similitudes ? A.F. : Oui, étonnamment ! Dans les deux cas, on fait le lien entre la conception et la production. Dans la couture, je traduisais le travail du styliste pour l’atelier. Aujourd’hui, c’est pareil, sauf que je traduis le travail des ingénieurs pour les ateliers de fabrication de sous-marins. Il faut expliquer, adapter, rendre faisable. Ce sont des environnements différents, mais les logiques de travail sont proches. Et dans les deux cas, la qualité est au cœur du métier.
Pourquoi ce choix de retourner vers la conception mécanique ? A.F. : En réalité, j’avais déjà un pied dans la mécanique avec mon bac STI génie mécanique. Même si j’ai poursuivi ensuite en couture, j’avais bien aimé la partie technique. Quand j’ai voulu changer de voie, l’idée de retourner vers la mécanique s’est imposée. L’alternance m’a permis d’intégrer Naval Group dès mes études, ce qui a facilité mon insertion. C’était un vrai défi, mais je ne regrette rien.
Et ce changement, vous l’avez fait tout en gérant votre vie de famille ? A.F. : Oui, j’ai deux enfants, et c’est justement pour être plus présente que j’ai fait ce choix. Mon fils rentrait en CP, et je voulais être disponible pour les devoirs, les moments importants. Le jour de sa rentrée, j’ai moi aussi fait la mienne… chez Naval Group ! Au CFA, Ce n’était pas évident au début, surtout avec une classe de jeunes de 18 ans. J’avais presque 20 ans d’écart avec eux. Mais j’avais mes collègues en entreprise pour garder un équilibre. |
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Quel est concrètement votre rôle chez Naval Group ?
A.F. : À partir des données de conception, et un peu comme l’élaboration d’une recette de cuisine, je prépare tout ce qui est nécessaire pour que les pièces soient fabriquées : plans d’exécution, gammes de fabrication, outils, contrôles à prévoir... C’est un travail de coordination entre la conception, les méthodes, les contrôles et l’atelier. Je suis également présente sur le terrain pour accompagner les équipes et répondre aux questions pendant la fabrication. Il faut communiquer avec tous les métiers.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ?
A.F. : Le lien entre la technique et la communication. Il faut adapter son discours selon qu’on parle à un soudeur ou à un ingénieur, entre autres. J’aime ce rôle de traductrice technique, ce va-et-vient entre les mondes.
De quoi êtes-vous la plus fière ?
A.F. : D’avoir osé. D’être allée jusqu’au bout d’un virage à 180 degrés, d’un univers à un autre. C’était un vrai défi, et aujourd’hui, je sens que j’ai trouvé ma place. C’est une vraie satisfaction. Et voir un projet, comme celui que j’ai suivi pendant mon alternance, aller jusqu’au bout, c’est très gratifiant.
Quels sont les stéréotypes que vous percevez autour des femmes dans l’industrie ?
A.F. : Beaucoup de jeunes filles n’osent pas s’engager dans des classes majoritairement masculines. On les voit suivre leurs copines plutôt que leur propre envie. Il faut briser cette peur. L’industrie n’est pas réservée aux hommes, même si certains métiers restent genrés. Il faut simplement écouter ce qui nous plaît, et ne pas se laisser freiner par les regards ou les idées reçues.
Comment s’est passée votre expérience en tant que femme dans un environnement industriel très masculin ?
A.F. : Je n’ai jamais eu de remarques directes, mais parfois, on sent une distance. Un peu plus de froideur, de doute. Est-ce que c’est parce que je suis une femme ? Ou parce que j’étais nouvelle ? C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que les femmes expriment plus facilement leurs doutes. Elles osent dire quand elles ne comprennent pas, et ça fait avancer. Je pense que ça rend leur progression plus solide.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes filles qui hésitent à se lancer dans l’industrie ?
A.F. : Il faut suivre son envie, ne pas se laisser freiner par l’entourage ou par la peur d’être la seule fille. C’est vrai qu’à 15 ans, être dans une classe de garçons peut impressionner, mais si on aime ce qu’on fait, il faut oser. Et puis, l’alternance est une super porte d’entrée : on apprend le métier sur le terrain, on est rémunéré, on entre dans une vraie dynamique professionnelle.